Pour comprendre l’impact du numérique sur l’environnement, il faut une vision globale des effets induits sur l’ensemble du cycle de vie des technologies numériques. Si les avancées numériques ne sont pas sans conséquence, elles apportent de réelles solutions permettant de mieux préserver l’environnement. Etude de l'AdN pour Digital Wallonia.

L'Agence du Numérique a été mandatée en 2021, par le Ministre de l'Economie et du Numérique, pour la réalisation d'une étude sur les impacts environnementaux et climatiques des outils numériques en vue de proposer des pistes de recommandations, dans le cadre de Digital Wallonia.

Ce dossier divisé en plusieurs articles présente les différentes parties de l'étude :

Saisir toutes les opportunités du numérique pour une Wallonie plus durable


Dans le dossier Green Deal européen et numérique, l’Agence du Numérique a souligné l’importance pour la Wallonie d’exploiter le potentiel que représente la double transition numérique et écologique. Cette interdépendance s’impose comme un défi au profit de la création de valeur, de la diversité des emplois et de la prospérité économique des entreprises wallonnes.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que le secteur du numérique est lui-même un grand consommateur d'énergie et de ressources naturelles.

Plus récemment, le Conseil de l’Union Européenne a formulé toute une série de conclusions à l’intention de la Commission européenne. Le Conseil définit le numérique comme un excellent levier pour accélérer la transition vers une économie circulaire, neutre pour le climat et plus résiliente.

En Wallonie, l'Agence du Numérique s'intéresse depuis plusieurs années à la problématique du numérique et de l'environnement. Diverses actions ont dès lors émergé comme la publication du mémorandum "Quelle société digitale pour demain ?", la participation au Think Tank #RESET, la représentation de la Wallonie dans les réflexions du CCPIE, la cartographie des acteurs actifs dans l'environnement et l'économie circulaire, la forte implication dans la stratégie Circular Wallonia, etc.

L’objectif étant de positionner le numérique comme un allié pour lutter contre le changement climatique et pour accélérer la transition écologique en Wallonie.

Un consortium d'experts pour la réalisation de l'étude


La réalisation de cette étude "numérique et environnement" permet d'effectuer un tour d'horizon de l'état de l'art et d'identifier les bonnes pratiques internationales pour inspirer la Wallonie dans les actions à mener.

Pour se faire, l'étude a réuni divers  experts autour d'un consortium (Climact, FACTOR-X, ICTEAM Electronic Circuits and Systems - UCLouvain, Laboratoire d'Etudes sur les Nouvelles formes de Travail, l'Innovation et le Changement - ULiège) et d'un comité consultatif (Institut Belge du Numérique Responsable, Cluster TWEED, SIRRIS).

Près de 80 sources clés traitant des liens entre le numérique et l'environnement ont été analysées. Ces sources traitent essentiellement de l'impact des technologies numériques sur l'énergie, les gaz-à-effet de serre (GES), les déchets et les impacts environnementaux d'une manière générale.

Etude Numérique et Environnement AdN Digital Wallonia. Types de sources et impacts couverts

Sur base de ces sources, 5 grands constats émergent :

  1. La prise en compte l'ensemble du cycle de vie des outils numériques.
  2. Les avancées numériques ne sont pas sans conséquence.
  3. Les avancées numériques offrent aussi de nombreuses opportunités.
  4. Attention aux effets rebonds.
  5. Les modes de comportement au centre de tout.

La prise en compte l'ensemble du cycle de vie des outils numériques


Tout produit fabriqué et vendu, comme un bureau ou un vêtement, génère un impact direct sur l'environnement. Il est donc important, dans une logique d'éco-conception, de prendre conscience de l'ensemble des matériaux, ressources et énergies mobilisés sur l'ensemble du cycle de vie des technologies numériques depuis leur conception, leur utilisation jusqu'à leur traitement en fin de vie.

Les principaux indicateurs à prendre en compte pour évaluer l'impact environnemental des outils numériques sur l'ensemble de leur cycle de vie :

  • La quantité de source d'énergie primaire utilisée pour l'extraction des matériaux utiles à leur fabrication.
  • La quantité de matériaux rares utilisée pour leur fabrication.
  • La quantité de source d'énergie finale utilisée sur l'ensemble du cycle de vie.
  • Le taux d'émissions de gaz à effet de serre émis durant l'ensemble du cycle de vie.
  • La quantité d'eau mobilisée sur l'ensemble du cycle de vie.
  • L'utilisation de produits toxiques pendant la conception ou le traitement en fin vie.
  • La surface de sols terrestres occupés et transformés pour assurer la production, la vente, la distribution et le traitement des déchets.
  • Le taux d'eutrophisation (le surplus d'azote) généré pendant le cycle de vie.
  • Le taux de déplétion de la couche d'ozone causée pendant le cycle de vie.

Les avancées numériques ne sont pas sans conséquence


Sur base de l'étude Le numérique en Europe: Une approche des impacts environnementaux par l’analyse du cycle de vie, voici quelques chiffres clés permettant de mesurer concrètement l'impact direct du numérique sur l'environnement :

  • Presque 55 millions de tonne de déchets électroniques et électriques DEEE ont été générés en 2019 dans le monde. Les petites technologies numériques de type GSM représentent presque 5 millions de tonne et les technologies comme les écrans ou moniteurs représentent presque 7 millions de tonne. Au vue de nos habitudes de consommation, les DEEE sont estimés à 75 millions de tonne en 2030, soit une augmentation de 40% en 10 ans.
  • L'empreinte carbone générée par le cycle de vie complet des technologies numériques dans le monde en 2020 est évaluée à un équivalent de un à deux gigatonnes de CO2, soit, 2 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
  • La phase de la production des technologies numériques est l'étape du cycle de vie qui génère le plus d'impact environnemental.
  • La production de téléviseurs représente, à elle seule, 20% de l'ensemble des ressources, matériaux et métaux utilisés dans la fabrication de technologies numériques. Ils représentent 21,5%  des DEEE.
  • Les centrales de données représentent entre 5% et 23% de l'impact global environnemental généré par les outils numériques.

Chaque année, les pays membres de l'Union Européenne :

  • Utilisent presque 5800 tonnes de ressources, matériaux et métaux rares pour la fabrication de technologies numériques et presque 4000 pétajoules PJ (unité de mesure d'énergie) de ressources fossiles, soit 26,4% de la consommation mondiale.
  • Génèrent 185 millions de tonne équivalent CO2 pour le cycle de vie complet de leurs technologies numériques, soit 40,7% des GES du secteur du numérique dans le monde.
  • Exploitent plus de 570 millions de tonnes de matières premières pour la fabrication de technologies numériques.
  • Produisent plus de 115 millions de tonne de déchets de technologies numériques en fin de vie.
  • Consomment presque 4250 PJ d'énergie primaire pour la fabrication d'outils et de services numériques.
  • Consomment presque 1050 PJ d'énergie finale pour l'utilisation journalière de l'ensemble des technologies numériques fonctionnelles.

En d'autres termes, chaque année, les pays européens :

  • Déplacent en matières premières l'équivalent du poids de l'ensemble des êtres vivants sur terre.
  • Génèrent sur le cycle de vie de leurs technologies numériques une pollution équivalente à 370000 allers-retours d'un avion entre Paris et New York, soit 63 années de liaisons actuelles.
  • Produisent des déchets numériques équivalent au poids de 1,87 milliards d'êtres humains.
  • Consomment en électricité pour le cycle de vie des technologies numériques l'équivalent de 32,5 millions de systèmes de chauffage (de 1000 W) allumés en continue pendant une année. L'utilisation des technologies numériques représente par ailleurs plus de 9% de la consommation européenne électrique.

Les avancées numériques offrent aussi de nombreuses opportunités


Même si les chiffres présentés plus haut peuvent sembler interpellants, toutefois, les technologies numériques ne représentent qu'une fine partie des impacts environnementaux générés par l'activité humaine.

Il est certes important d'être conscient de l'impact du numérique sur l'environnement dans une logique Green IT. Et il est tout aussi important de saisir toutes les opportunités des avancées technologiques numériques pour préserver l'environnement dans une logique de IT 4 Green.

Exemples de réduction annuelle de GES et d'impacts environnementaux générés grâce aux technologies numériques :

  • Les réseaux électriques intelligents permettent d'économiser presque 150 millions de tonne de CO2 et jusqu'à 10% de la consommation énergétique.
  • L'efficacité énergétique des smart buildings qui permet d'économiser presque 215 millions de tonne de CO2.
  • L'application du numérique dans une logique du smart farming, notamment grâce aux irrigations intelligentes, permet de gagner presque 650 millions de tonne de CO2, sans parler des économies de la consommation de l'eau et de l'énergie finale.
  • La smart mobility grâce au numérique, notamment à travers les éclairages publics intelligents, la démobilisation et la décongestion routière, fait économiser presque 650 millions de tonne de CO2.
  • L'industrie 4.0, principalement à travers la gestion intelligente de la chaine d'approvisionnement et d'une vision plus orientée eco-factory, réduit l'équivalent de presque 240 millions de tonne de CO2.

Outre ces gains non négligeables, les technologies numériques apportent de réelles solutions pour :

  • Surveiller l'environnement, le climat, les écosystèmes, les ressources naturelles, la déforestation, la dégradation des forêts, etc.
  • S'adapter au réchauffement climatique.
  • Renforcer la sensibilisation et la mobilisation des acteurs autour de la cause environnementale en simplifiant la transmission de la bonne information et des bons gestes à adopter.

Voici trois exemples concrets où l’utilisation des technologies numériques se révèlent incontournables.

Les catastrophes naturelles

Le numérique peut aider à contrer ou à mieux gérer des phénomènes météorologiques pouvant causer de graves dégâts pour la Wallonie, comme se fût le cas en juillet 2021. Dès lors, il joue un rôle de prévention (pratiques visant à moins dégrader l'environnement) et d'anticipation (pratiques visant à mieux observer et comprendre les variations environnementales de sorte à agir en conséquence).

Quelques exemples d'application de technologies numériques pour :

  1. Prévenir des phénomènes météorologiques :
  2. Faire émerger des modèles agricoles, d'écoulement des eaux, d'urbanisation et de ruissellement fondés sur l'activation des écosystèmes naturels.
  3. Suivre automatiquement à travers des systèmes de veille juridique les règles environnementales en vue de mieux détecter les violations du droit de l'environnement. Cette pratique garantit le respect des règles d'urbanisation, de bonne gestion de l'écoulement des eaux et des polluants rejetés afin de réduire l'impact environnemental des activités industrielles et manufacturières.
  • Anticiper des phénomènes météorologiques :
  • Contrôler en continu la qualité et la quantité des eaux dans les réseaux de distribution d'eau grâce à des sondes et à des capteurs.
  • Utiliser des capteurs connectés, des drones, les réseaux sociaux et l'exploitation de signaux faibles dans les bases de données pour assurer une meilleure compréhension et un bon fonctionnement des écosystèmes terrestres et marins.
  • Utiliser l'IoT, l'IA, les satellites et les modèles d'intelligence et de simulation pour prédire des catastrophes naturelles et météorologiques.
  • Mettre en place des plateformes qui facilitent l'échange, la centralisation et la mobilisation de matériels et d'équipements de sorte à apporter le plus rapidement une aide optimale aux sinistrés.
  • L'économie de la fonctionnalité

    Le numérique fait évoluer les relations traditionnelles de transition entre les vendeurs et les acheteurs. De nouveaux modèles basés sur la confiance et sur des solutions alternatives pullulent dans une logique de fonctionnalité et de circularité.

    A titre d'exemple, des plateformes visant à proposer des pratiques de leasing d'équipements s'imposent comme une nouvelle manière "plus durable" de consommer et d'utiliser des équipements. Des plateformes, comme Usitoo par exemple, donnent la possibilité de réserver des objets très peu utilisés au quotidien comme des articles de fête ou de voyage.

    Cela pousse le consommateur à ne pas investir dans un équipement qu'il aurait sûrement utilisé une seule et unique fois pour une occasion donnée et qu'il aurait commandé de l'étranger par exemple. En termes de chiffres, chaque objet loué permet d'éviter 80 KgCO2e  comparativement à l'achat du même objet neuf. Cela génère aussi un gain de 4 KgCO2e de potentiels déchets (de l'objet lui même et de son emballage) et d'une réduction de l'impact de livraison de 154 KgCO2e  à 1,6 kgCO2e par objet).

    Une mobilité durable

    En termes de mobilité, le soutien aux transports partagés et aux moyens alternatifs de se déplacer devient crucial pour limiter la congestion et la pollution qui en résulte. Des plateformes, comme Cambio, proposent des systèmes d'auto-partage de véhicules dans diverses stations et points de proximité.

    Contrairement aux locations de voitures traditionnelles qui nécessitent le déplacement d'agents pour la remise et la reprise des clés, ce type de solution permet de déverrouiller la voiture avec une application. En termes de chiffres, chaque voiture partagée louée remplace en moyenne 13 véhicules privés.

    La location au km et non à la journée pousse aussi l'usager à optimiser les distances parcourues. En guise de résultat, chaque voiture louée est utilisée en moyenne par plus de 30 personnes. Cela génère un gain de 48,3 gCO2e par km parcouru. Avec un trajet moyen annoncé de 56,4 km, le gain par réservation est donc de 2,7 KgCO2e.

    Attention aux effets rebonds


    L'usage des technologies numériques apportent donc de réelles opportunités pour l'environnement. Toutefois, il est important de prendre en compte aussi les effets rebonds qui accompagnent un usage intensif d'une technologie numérique.

    Il existe trois types d'effets rebonds :

    Exemples concrets d'effets rebonds induits par le changement des comportements des usagers :

    Les modes de comportement au centre de tout


    En soi, la digitalisation est davantage un processus humain et les outils numériques sont, comme l'indique le terme, des outils. Un outil peut être un facilitateur et/ou une barrière à l'adoption d'un mode de fonctionnement plus durable et, par conséquent, il doit être considéré et compris dans son intégralité (par exemple, les différents acteurs, les modes d'utilisation, le changement de comportement et d'habitude, la compréhension de la consommation, etc.) pour évaluer l'apport réel.

    Il est important de prendre l'aspect humain en compte pour s'adapter aux besoins et de comprendre les différentes manières de ré-appropriation et d'utilisation au quotidien de ces outils par les différents acteurs.

    En conclusion, l'usage du numérique fait toute la différence


    Sur la question "Quelle est la balance de l'impact environnemental du numérique", il est aujourd'hui encore difficile de se prononcer. En effet, très peu de rapports et d'études (moins de 20% de la littérature consultée) réalisent cette balance.

    Par contre, un enjeu important reste de sensibiliser à des modes de consommation et d’usage durable de sorte à saisir toutes les opportunités du numérique tout en limitant ses effets rebonds et, dans une logique Green IT, son empreinte carbone.

    Pour en savoir plus

    À propos de l'auteur.

    Fanny Deliège


    Agence du Numérique