Etude et analyse

Publié le 11 mars 2022

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La Commission européenne et plusieurs pays lancent des actions Green IT et IT 4 Green. L’étude de l’AdN recense 45 bonnes pratiques inspirantes pour la Wallonie. Elles couvrent notamment la gestion des déchets électroniques, la lutte contre l’obsolescence programmée, l’innovation au service de l’environnement, le soutien de modes de consommation durable ou encore le rôle de l’open data dans la transition écologique.

L'Agence du Numérique a été mandatée en 2021, par le Ministre de l'Economie et du Numérique, pour la réalisation d'une étude sur les impacts environnementaux et climatiques des outils numériques en vue de proposer des pistes de recommandations, dans le cadre de Digital Wallonia.

Ce dossier est divisé en plusieurs articles présente les différentes parties de l'étude :

45 bonnes pratiques internationales inspirantes


Dans le but d'inspirer le Gouvernement wallon et son ministre de l'économie et du numérique, l'étude numérique et environnement identifie 45 bonnes pratiques internationales. Celles-ci font référence à des publications, des politiques, des roadmaps et des lois qui définissent des ambitions pour réduire les impacts environnementaux du numérique ou qui les utilisent comme levier dans des secteurs bien précis.

Les 45 pratiques sélectionnées présentent les critères suivants : 

  • elles ont déjà été mises en oeuvre sur des régions ou pays bien précis.
  • elles ont un réel impact positif sur l'environnement. Il ne s'agit pas d'exposer des micro-pratiques développées à l'échelle citoyenne ou d'un quartier.
  • elles doivent être pertinentes par rapport au cadre wallon et peuvent être répliquées.
  • elles ont été décrites à un niveau institutionnel, donc inspirantes pour un gouvernement comme le nôtre. Par ailleurs, 84% d'entre-elles sont mises en oeuvre à l'échelle nationale et les 16% restants le sont à l'échelle supranationale.

Afin de mieux s'inspirer de l'international, les bonnes pratiques se focalisent sur des pratiques développées principalement par la Commission européenne, les gouvernements européens et les pays limitrophes à la Belgique. En vue de capter les meilleures innovations gouvernementales en la matière, un focus est également mis sur les pratiques dans les gouvernements de pays nordiques, comme le Danemark et la Finlande, et anglophones, comme le Royaume-Uni et le Canada.

Nombre de bonnes pratiques par gouvernement (étude AdN pur Digital Wallonia)

Priorité au Green IT


Les bonnes pratiques retenues ciblent différents acteurs. La majorité, c'est à dire 40%, visent les pouvoirs publics, 31% la société d'une manière générale et 29% les entreprises. Elles adoptent des approches numériques différentes. 40% d'entre elles définissent des actions dans le cadre d'une approche Green IT et 29% s'orientent vers de l'IT 4 Green. 31% des bonnes pratiques incluent les deux approches dans une logique plus intégrative.

Ce benchmark international démontre un intérêt prioritaire des gouvernements internationaux au Green IT, donc à la réduction de l'empreinte environnementale du numérique.

Positionnement des guides pratiques dans le modèle de Hilty (étude AdN pour Digital Wallonia)

Le numérique est abordé dans sa globalité


Au niveau institutionnel et sur base de ce benchmark international, 78% des actions mises en oeuvre ont pour ambition d'aborder la relation numérique et environnement d'une manière globale. Cela veut dire qu'aucune technologie n'est précisément ciblée pour diminuer son impact ou l'utiliser comme un levier pour soutenir la transition environnementale.

Les 22% restants exposent, quant à elles, des actions qui ciblent des technologies bien précises comme l'IoT, la Blockchain, l'IA, le cloud ou les jumeaux numériques.

La priorité à la protection du climat et à la gestion des déchets


Actuellement, les pratiques mises en place par les gouvernements internationaux en termes de numérique et environnement s'orientent vers des problématiques bien précises comme la protection du climat, une optimisation de la gestion des déchets et de l'utilisation des matières premières, l'économie circulaire et régénératrice, le recyclage, le plastique et le prolongement de la durée de vie des équipements. Ces priorités internationales s'alignent avec les principaux axes définis dans le cadre des stratégies wallonnes.

Elles démontrent aussi tout le potentiel du numérique dans l'accélération de la transition durable. Les bonnes pratiques identifiées peuvent, à terme, être toutes transposables à la Wallonie. Cependant, presque 75% d'entre elles nécessitent des pré-requis pour assurer la réussite de ces actions (mobilisation des acteurs, modification des modes de consommation et de production, existence d'une dynamique d'innovation et d'entrepreneuriat, etc.).

Alignement DPR, S3 (à l'échelle wallonne) et Green Deal (à l'échelle européenne) (étude AdN pour Digital Wallonia)

L'étude numérique et environnement englobe un total de 520 exemples catégorisés dans les 45 bonnes pratiques concrètes mises en place par les gouvernements internationaux. Cinq exemples sont développés ci-dessous.

Soutenir et renforcer les filières du réemploi, du reconditionnement et de la réparation des DEEE


La Commission européenne incite à :

  • La construction et à l'affichage d'un indice de "réparabilité" et de durabilité de l'ensemble des équipements et des services numériques commercialisés en Europe.
  • Soutenir la réparation des équipements numériques et le réemploi des matériaux et composants électroniques.
  • L'imposition de l'affichage des critères de durabilité, de "réparabilité" et d'empreinte environnementale des produits numériques sur les plateformes et marchés en ligne en Europe.

Pour cela, elle élargit le cadre de fixation d'exigences d'éco-conception des produits énergétiques au secteur numérique et charge le Joint Research Center et le Comité européen de normalisation en électronique et électrotechnique de cette mission.

Elle ambitionne, grâce à ces actions, d'atteindre d'ici 2030 un marché européen du re-manufacturing évalué à plus de 100 millions d'euros avec en prime une réduction de 21 mégatonnes de CO2 et la création d'un demi-million d'emplois.

Au niveau des gouvernements nationaux, le Royaume-Uni et la France ont modifié leur législature pour encourager le reconditionnement et le réemploi des équipements numériques. A titre d'exemple, la France exigera, à compter de 2024, que tous les producteurs du secteur du numérique communique à tout client ou revendeur qui le demande l'indice de "réparabilité" des équipements vendus ainsi que les critères utilisés pour le calculer. Depuis 2021, elle a mis à disposition de sa population un fonds de réparation consacré à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

Ce dernier prend en charge une partie des coûts de réparation des équipements numériques. Enfin, la France a établi une stratégie de réduction de l'empreinte carbone du numérique du secteur public qui inclut des politiques d'achat de matériels re-conditionnés et des formations aux éco-gestes des agents publics afin de faire évoluer les modes d'usages.

Cette bonne pratique nécessite les pré-requis suivants :

  • Le développement d'une expertise régionale et européenne solide en termes de réemploi, de reconditionnement et de réparation des DEEE (déchets électriques et électroniques).
  • La sensibilisation des utilisateurs à la consommation d'équipements de seconde main.

Lutter contre l’obsolescence programmée, en y intégrant l’obsolescence logicielle et indirecte


A l'échelle de l'Europe, la Commission européenne travaille actuellement sur la fixation, en concertation avec les entreprises, de critères de robustesse des équipements numériques par catégories. Ses travaux incluent aussi la fixation d'un véhicule juridique adapté à l'inscription de dispositions législatives relatives au droit à la réparation et à la lutte contre l'obsolescence logicielle dans le cadre de son plan sur l'économie circulaire.

Le gouvernement français envisage de mettre en place, au niveau européen, une interdiction de l’obsolescence programmée sur les équipements numériques français. Cela résout, entre autres, les problématiques liées à la preuve de l’existence d’une technique visant à réduire délibérément la durée de vie de l'équipement. Cette action s'inscrit dans la volonté gouvernementale de sanctionner "l'irréparabilité intentionnelle" et de son élargissement à l’obsolescence logicielle et indirecte.

Dans cette même logique, le gouvernement compte obliger les éditeurs de logiciels à obtenir le consentement des utilisateurs pour le téléchargement de mises à jour et à préciser chaque fois le volume impliqué, sa finalité et s'il s'agit de mises à jour évolutives ou correctives. Il compte aussi imposer la réversibilité des mises à jour logicielles évolutives vers une version antérieure pour une certaine durée de temps.

Dans le cadre de la directive européenne sur l'éco-conception et la réparation des équipements électriques et électroniques, le gouvernement allemand met en place des réglementations contraignantes pour la fourniture de mises à jour, d’instructions de réparation et de pièces de rechange à l'intention des marchés du B2B et du B2C. Les réglementations concernent les batteries, les écrans et les autres composants matériels de courte durée.

Cette bonne pratique nécessite les pré-requis suivants :

  • Etre en mesure, à l'échelle régionale, de prouver la volonté de la réduction de la durée de vie d'un équipement ou d'un logiciel numérique ;
  • Sensibiliser les utilisateurs à lutter contre l'obsolescence psychologique qui est stimulée par les publicités et les effets de mode.

Mettre l’innovation numérique au service de la préservation de l’environnement et de la biodiversité


La Commission européenne a lancé en 2020 un centre européen sur la biodiversité qui a pour mission de comprendre et de surveiller les changements de la biodiversité, entre autres, grâce au numérique. Le centre travaille en étroite collaboration avec l'Agence européenne pour l'environnement et avec les différents gouvernements des états membres.

Une autre initiative envisagée par la Commission européenne est en lien avec la stratégie européenne pour les données. Dans ce cas-ci,  la Commission énonce la mise en place d’un espace européen commun des données relatives au pacte vert ou plus connu sous le nom du Green Deal. Cet espace commun vise à mieux exploiter la data pour renforcer les diverses actions autour du changement climatique, de l’économie circulaire, de la pollution zéro, de la biodiversité, de la déforestation et de l’assurance du respect de la législation.

Au niveau des états, le gouvernement allemand, dans la suite logique du centre européen sur la biodiversité, a créé en 2020 un centre national de surveillance de la biodiversité. Ce dernier analyse les paramètres climatiques en Allemagne grâce à des outils numériques, et plus particulièrement, l’application du droit de l’environnement grâce à l’analyse des données satellitaires, des capteurs et des méthodes d’analyses automatisées.

Le gouvernement a aussi créé des laboratoires d'agriculture numérique durable pour tester les nouveaux modèles agricoles fondés sur le numérique. Enfin, il a mis en place une série de systèmes d'information qui gèrent et améliorent la gestion de l'eau et des infrastructures de distribution.

Le gouvernement français a mis en place un programme d’innovation et d’expérimentation en faveur des civic tech dans l'élaboration et la réalisation des stratégies de transition écologique. Les projets hébergés, comme par exemple ceux dédiés à l'analyse des phénomènes d'érosion de la biodiversité, impliquent divers acteurs comme les entreprises, les startups, les citoyens-experts, les ministères, les établissements publics et les collectivités territoriales.

La France investit aussi dans des projets visant à utiliser :

  • le numérique pour faire émerger des modèles agricoles fondés sur l’activation des écosystèmes naturels sur l'ensemble de la chaîne agroalimentaire.
  • les sondes et des capteurs dans la gestion en temps réel des réseaux d'eau.
  • et traiter les données pour la promotion de la pêche raisonnée.
  • les photographies satellitaires des grands ensembles forestiers pour localiser les actions de déforestation illégales.
  • les capteurs connectés, les drones ou encore les réseaux sociaux pour appréhender l’impact de l’activité humaine sur les écosystèmes naturels.

Soutenir des modes de consommation numérique plus responsables


La Commission européenne soutient, au sein de ses états membres, la mise en place de passeports numériques pour les produits et principalement pour les produits numériques. Cela permet, entre autres, d'assurer une meilleure traçabilité des matériaux et des minerais utilisés pendant les phases de conception et de production.

Ces passeports visent, à terme, à limiter la dépendance internationale des matériaux utilisés en trouvant de nouvelles solutions de substitution.

Ils soutiennent aussi la diffusion des écolabels existants du commerce équitable, en y intégrant les conditions de travail des ouvriers, parfois mineurs et/ou en zone de conflit, qui extraient les minerais nécessaires à notre consommation numérique.

La question de la traçabilité des minerais est extrêmement complexe et aucun fabricant ne parvient actuellement à les tracer à 100%. Les passeports produits s'inscrivent dans le cadre de la mise en place du marché unique des produits verts qui vise à faciliter l'information relative à la performance et à l'empreinte environnementales sur tout le cycle de vie des produits. Enfin, les passeports pour les produits jouent un rôle central dans le développement de modes de consommation et d'achats plus responsables.

Ils donnent une vue d'ensemble du cycle de vie complet permettant aux consommateurs, à l’industrie et à la gestion des déchets électriques et électroniques d’agir de manière plus responsable. Au niveau des gouvernements des états membres, l'Allemagne entend promouvoir le passeport pour les produits numériques durant sa présidence du conseil de l'UE, et le Danemark a mis en place des passeports standardisés pour les produits, dont ceux  en lien avec le numérique, et les bâtiments dans le cadre de sa stratégie d'économie circulaire.

Afin de dissuader la surconsommation des terminaux numériques, la Commission européenne propose de taxer les externalités négatives liées à la fabrication des terminaux en introduisant une taxe carbone aux frontières européennes. Cette dernière constitue un premier levier de réduction de l’empreinte environnementale du numérique car elle rend l'achat plus onéreux et réduit l'attractivité des modèles fournis en dehors de la zone UE.

Parallèlement à cela, elle rend plus attractifs les terminaux issus des activités de reconditionnement et de réparation.

Dans une logique de réduction de l'empreinte carbone de la phase de production, l'Union européenne a signé en 2021 le règlement 2017/821 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaine d'approvisionnement de l'étain, du tantale, du tungstène et de minerais rares provenant de zones de conflits ou à hauts risques. Cette action soutient un choix plus respectueux des matériaux nécessaires aux phases de production des composants électriques et électroniques. Elle est par ailleurs mentionnée dans  le plan d'action de l'Union européenne pour l'économie circulaire.

Au niveau des gouvernements européens, la France inscrit dans sa stratégie d'économie circulaire et de lutte contre le gaspillage tout un programme d'éducation et de sensibilisation à la réduction des déchets, au réemploi et au recyclage des produits et matériaux, ainsi qu’au geste de tri des produits, dont les produits numériques. Dans une même logique, le Royaume-Uni a mis en place un programme d'éducation libre et autonome sur le sujet de la durabilité de la technologie et de l'amélioration continue de son usage.

La Finlande a quant à elle renforcé l'éducation et la sensibilisation des utilisateurs sur les impacts environnementaux du numérique de sorte à les inciter à adopter des comportements d'achat et d'usage plus respectueux.

Mettre la data au service de l'environnement et de la gouvernance de la transition écologique


La Commission européenne a lancé en 2021 le B2G data sharing, qui est une loi sur les données qui encourage le développement d’espaces européens communs des données dans certains secteurs stratégiques ou d’intérêt public.

Elle a également lancé l’initiative GreenData4All qui évalue et révise la directive établissant une infrastructure d’information géographique dans l’Union européenne (directive dite INSPIRE), ainsi que la directive sur l’accès à l’information en matière d’environnement.

Des initiatives d'open data sont observées au niveau de gouvernements européens. Le Danemark partage des données communes sur la topographie, le climat et l'eau dans différents secteurs afin de supporter la bonne gouvernance lors d'évènements extrêmes. Il utilise aussi la data pour améliorer la gouvernance sur les questions de gestion énergétique via des projets pilotes dans des bâtiments.

En France, le gouvernement entend généraliser la notion de données d’intérêt général aux données environnementales notamment sur des secteurs clés de la transition écologique comme l'énergie, l'économie circulaire, le traitement des déchets, l'utilisation des pesticides, etc.

La souveraineté de la data gratuite, produite ou financée par l'état et les collectivités locales, a pour objectif d'encourager son traitement et son analyse pour renforcer la protection de l'environnement. Pour se faire, la France lance un hub sur les données environnementales pour assurer la maîtrise des données à l’échelle des territoires et engager les acteurs privés et citoyens dans la dynamique.

D'autres pays européens ont mis en place des initiatives d'open data au profit de l'environnement. A titre d'exemple, le gouvernement allemand a créé une plateforme open source de données open data sur la protection des ressources naturelles. Cette plateforme nourrit les projets de recherche et permet à tout utilisateur d'avoir accès à des données brutes sur les situations environnementales en Allemagne.

Le gouvernement du Danemark a, quant à lui, intégré l'open data dans le secteur public et organise des ateliers hackathons afin de stimuler un environnement entrepreneurial et innovant autour de l'utilisation de la data au profit du climat et de la biodiversité.

Pour en savoir plus

À propos de l'auteur.

Djida Bounazef


Agence du Numérique