L’enjeu des compétences numériques, omniprésent dans le débat public, semble négligé tant par les acteurs publics que par les entreprises privées. Quelle est la cause de cet abandon? La réponse tient probablement dans notre fascination pour les progrès technologiques, qui cristallise notre attention et parfois nous aveugle.

Imaginez un monde …reprogrammé par le digital, où l’être humain aurait perdu les codes d’accès.Où nous sommes perdus à chaque mise à jour d’une interface.Où les compétences, aussitôt acquises, sont déjà obsolètes.

Et si ce monde absurde, était déjà le nôtre ?

Cela peut sembler paradoxal mais notre fascination pour les objets (littéralement notre "fétichisme"), nous empêche de voir que la clé des usages numériques ne se trouve pas dans la technologie mais dans ceux qui l'utilisent. Nous sommes dès lors régulièrement coupables de ne voir que l’outil et de sous-estimer la place des utilisateurs dans la construction des usages.

Des compétences numériques: une denrée rare à cultiver


D’après l’Europe, 44.5% des européens ont des compétences numériques lacunaires et 42% d’entre eux sont au chômage. Simultanément, six entreprises sur dix indiquent qu’elles rencontrent des difficultés à recruter des experts numériques.

L’Agence du numérique et la Fondation Roi Baudouin confirment ces chiffres:

  • D’après le Baromètre Inclusion Numérique de la Fondation Roi Baudouin: "En 2019, à peine 38% des Belges ont des compétences numériques avancées et 32% des individus ne possèdent que de faibles compétences numériques. Si l’on y ajoute les 8% de non-utilisateurs, on peut considérer que 40% de la population belge sont en situation de vulnérabilité face à la numérisation croissante de la société".
  • Le Baromètre citoyen de l’Agence du numérique ajoute que "seulement 24% des Wallons sont demandeurs de formations au numérique, tandis que 76% de la population active considère que ses compétences numériques sont suffisantes pour ses perspectives de carrière".

D’après Agoria (la Fédération du secteur technologique) :

  • la pénurie d’emploi dans le secteur IT en Belgique a atteint les 16.000 postes en 2018 et pourrait atteindre les 30.000 postes vacants d'ici 2030 alors que dans le même temps, les filières de formation informatique sont confrontées à une pénurie de vocations*;
  • sans politique adaptée pour répondre aux enjeux de la transformation numérique des métiers, il y aura, tous secteurs confondus, 584.000 postes vacants non pourvus en 2030 !

* Si, d’après l’ARES, le nombre d'étudiant.e.s inscrit.e.s dans les filières informatiques progresse en FWB, puisque nous sommes passé de 3.227 étudiants en informatique en Hautes écoles en 2004-2005 (pour 7% de filles) à 4.044 en 2017-2018 (pour 8% de filles) et de 1.103 étudiants universitaires en informatique en 2004-2005 (pour 6% de filles) à 1.514 en 2017-2018 (pour 9% de filles), le taux global de jeunes diplômés dans les filières scientifiques et techniques demeure un des plus faible d'Europe (14 diplômés âgés de 20 à 29 ans pour 1.000 habitants en 2018 contre 19,6 pour la moyenne européenne - source Eurostat). De même, si le niveau d'études de la population belge continue également de progresser (35,2% des 30-34 ans disposaient d'un diplôme de l'enseignement supérieur en 2000 pour 47,8% en 2020), celui de la population wallonne vient d'enregistrer un recul de 2% ces deux dernières années. Ainsi, 30,0% des 30-34 ans disposaient d'un diplôme de l'enseignement supérieur en 2000 pour 42,5% en 2018 mais 40,6% en 2020 (Source Statbel). Enfin, si le taux d'emploi de la population wallonne des 20-64 ans continue de progresser (de 61,1% en 2000 à 64,6% en 2020), celui des NEET (Not in Education Employment or Training) poursuit son recul (de 22,7% en 2000 à 11,7% en 2020)

L’humain au centre de la transformation numérique


La transformation numérique est une problématique plus humaine que technologique et la prise en compte du facteur humain est déterminante dans les processus de transformation numérique des entreprises.

L'enjeu des usages

Les outils ne sont que des outils, ils font ce qu'on leur demande faire. Cependant, ils possèdent leur propre design et ce dernier oriente nos actions, voire nos comportements. Ainsi, de même que le design du marteau se passe de mode d'emploi et celui d'une arme à feu est une invitation à tirer, les outils qui nous entourent ne sont pas neutre.

Il s’agit de se les réapproprier - voire de les détourner! - afin de coconstruire nos usages numériques et de ne pas se laisser distraire de l'essentiel, en mettant la priorité sur le moyen plutôt que la fin. Cette mise en valeur de la technologie au détriment des usagers s'illustre par le concept de pharmakon. En grec, le pharmakon* désigne à la fois le remède et le poison, ce qui revient à dire que toute technologie est pharmakon, elle est à la fois poison et remède. Les outils ne sont pas neutres et le rôle des utilisateurs (les "médiateurs pharmacologiques") est déterminant quant à la pertinence des usages qui sont déployés.

*C’est le philosophe Bernard Stiegler qui emprunte cette notion de "pharmakon" à Jacques Derrida, lui-même l’empruntant à Platon.

L'enjeu du développement des compétences

Dès lors, comment prendre en compte correctement cette dimension humaine des compétences numériques et accompagner les processus de transformation / réappropriation, plus communément appelé "change management" (ou gestion du changement)? Il s'agit d'investir dans les compétences (techniques et humaines) pour s'entourer de collaborateurs agiles, capables de s’assurer que les outils et processus mis en place servent l’atteinte des objectifs de l'entreprises et contribuent au bien-être des collaborateurs.

En pratique :

  1. Faire le bilan des besoins en compétences;
  2. Former aux compétences numériques ;
  3. Créer des espaces pour échanger et apprendre;
  4. Repenser les modes de collaboration;
  5. Favoriser la prise d’initiative.

1. Besoins en compétences

Pour développer les compétences des collaborateurs, il faut au préalable, comme le projet-pilote UpSkills Wallonia l’expérimente actuellement, identifier les besoins en compétences en regard de la situation actuelle et de celle visée pour le futur:

  • Evaluer les compétences actuelles du personnel;
  • Identifier les pénuries de compétences;
  • Construire une stratégie pour développer les compétences d’avenir;
  • Miser sur des modalités d’apprentissage innovantes et attirantes (actives, personnalisées, inclusives, entre pairs, ...);
  • Créer l’assentiment en impliquant/responsabilisant le personnel, en libérant du temps pour la formation, en mettant en place un système de récompenses / incitants...
  • etc.

Des consultants peuvent vous  accompagner ! Les chèque maturité numérique ou chèque croissance existent pour vous aider à pour réaliser un diagnostic et vous soutenir dans la mise en oeuvre.

2. Former aux compétences numériques

La répartition des formations dans le cadre d’un processus de transformation numérique se distribue généralement comme suit :

  • 40% de formations numériques. Il s’agit ici de compétences numériques dites "pour tous", c'est-à-dire celles des utilisateurs, telles que définie dans le référentiel européen DigComp, et non celles des professionnels de l’informatique (e-CF3). Elles se traduisent généralement par des formations génériques de mise à niveau et par des modules de prise en main de logiciels métiers. Mais au-delà de ces formations, ce sont les compétences transversales qui vont permettre de continuer à développer les compétences numériques dans la durée…
  • 30% de formations transversales. Les compétences transversales (ou soft skills) consistent à apprendre à communiquer et collaborer dans un monde numérique, en travaillant les aspects comportementaux tels que l’attitude face à la nouveauté. Ce sont donc les compétences numériques qui vont permettre de développer et maintenir à jour les compétences numériques. Les soft skills offrent en effet les outils pour trouver des solutions lorsqu'on est confronté à une situation nouvelle ou à un problème nouveau qu'il soit simple (comme un changement soudain d’interface) ou plus complexe (comme l'exploration de pistes de solution face à un problème qui ne s'était jamais posé). Concrètement, les modalités d'apprentissage les plus propices pour développer les compétences transversales sont les activités de mise en situation.
  • 30% de formations métiers. Il s'agit le plus souvent de mettre à niveau les compétences métiers (hard skills) en regard de l'évolution technologique (nouveaux matériaux, nouvelles machines...) ou règlementaire (nouvelles normes, etc.).

En Wallonie, une offre de formation est disponible :

3. Modes de collaboration

Des modes d’organisation plus ouverts, facilitant la transversalité entre les métiers et la collaboration en mode projets, sont à même de favoriser la diffusion de nouveaux savoir-faire, notamment en matière de bonnes pratiques du numérique. Ce partage favorise la montée en compétences des collaborateurs.

Pour résoudre les défis de la transformation digitale et des compétences, les organisations doivent également être plus ouvertes sur l’externe. Travailler davantage en collaboration avec l’ensemble de son écosystème ou, a minima échanger avec celui-ci pour identifier les solutions à mettre en œuvre, est une clé pour accélérer la transition des compétences.

Les bonnes pratiques:

  • Encourager la mise en place de nouveaux modèles organisationnels;
  • Fonctionner en assemblage de compétences, en équipes transversales;
  • Nouer des échanges et partenariats au sein de sa branche d’activité pour résoudre les défisliés à l’attractivité, au partage de compétences et à la formation;
  • Travailler avec des partenaires pour transférer des compétences et proposer des offresconjointes à ses clients.

4. Organisation apprenante

La création d'espaces pour échanger, apprendre et stimuler la curiosité, c'est poser les jalons d'une organisation apprenante qui développe une culture de l'amélioration continue. Cette stratégie implique au-delà des actions "formelles" de formation de soutenir et favoriser une dynamique d'apprentissage informel (active ou social Learning).

Une enquête réalisée au milieu des années 90 par des chercheurs à Princeton auprès de 180 managers, indiquait qu'en milieu professionnel 70 % de ce que nous apprenons provient de l'expériences (notamment de la résolution de tâches difficiles), 20 % des interactions avec les collègues et 10 % de la formation traditionnelle (initiale ou continue).

Ce modèle appelé 70/20/10 invite à mettre en place des modalités favorisant l'apprentissage informel, comme par exemple la mise en place du mentorat, la création d'espaces de partage, la valorisation des compétences acquises, etc.

5. Favoriser la prise d’initiative

A l'image de l'entreprenariat, l'enjeu des compétences repose également sur la capacité à expérimenter des solutions nouvelles, prendre des initiatives (et donc des risques). Afin de libérer le potentiel des collaborateurs, il faut dès lors aussi travailler sur la place qu'on accorde à l’erreur et créer les conditions pour favoriser la prise d'initiative et valoriser la prise de risque en ce compris les échecs.

L'humain est la ressource la plus délicate à gérer en entreprise, alors elle est celle qui a le plus grand potentiel et sa valeur ne fait que croître avec le temps. Prendre soin de ses collaborateurs et les accompagner à travers les enjeux des compétences numériques, c'est prendre soin de son entreprise et prendre la question de sa transformation numérique à la base en privilégiant les utilisateurs plutôt que les outils. On serait parfois surpris du potentiel existant en interne lorsque le cadre de travail et de collaboration est adapté et que ceux disposant des compétences ont l'opportunité de partager leurs bonnes pratiques, leur expérience et leur bienveillance. Pour le reste, un support externe peut toujours se trouver afin de combler les lacunes.

Et si vous vous lanciez ?


La transformation numérique ne se fait pas du jour au lendemain. Elle se fait pas à pas, collectivement et par itération. Mais par où commencer ? Pour démarrer, il est essentiel d’identifier les principaux défis qui vous serviront de point de départ et qui doivent soutenir la stratégie globale de votre entreprise. Pour y parvenir, évaluez la maturité numérique de votre entreprise et rencontrez vos collaborateurs sur le terrain. Rêvez cette nouvelle organisation ensemble. Cela vous permettra d’identifier les points importants qui devront être pris en considération : pensez à toutes les tâches que vous pourriez automatiser ou encore aux données que vous pourriez recueillir et exploiter pour faire apparaître de nouvelles opportunités. Et n’oubliez pas, lorsqu'il s'agit d'adapter la façon dont les collaborateurs travaillent, l’accompagnement et les facteurs culturels de l’entreprise sont des éléments essentiels à prendre en considération pour réussir. Ce n'est que lorsque ces facteurs seront pris en compte que les premiers défis pourront être relevés avec succès et susciter l'enthousiasme nécessaire pour poursuivre votre voyage numérique.

Le saviez-vous ?


L’Agence du Numérique a créé un pôle d’expertise dédié à cette thématique : le pôle « Humains et Société(s) ». Il vise à mobiliser les organisations à développer une stratégie agile et responsable pour relever les défis humains et organisationnels de la transformation numérique.

Trois outils sont déjà disponibles :

Pour tout savoir sur les projets et les aides possibles, prenez contact avec l’un des experts de l'Agence du Numérique.

À propos de l'auteur.

Pascal Balancier


Agence du Numérique