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Publié le 14 avril 2025

Le 9 avril 2025, la Commission européenne a lancé le plan d’action “Continent de l’IA” pour faire de l’UE un leader mondial en intelligence artificielle, en réponse à la concurrence des États-Unis et de la Chine. Ce plan s’articule autour de cinq piliers stratégiques pour renforcer l’écosystème d’IA européen.

La Commission européenne a dévoilé son Plan d'action "Continent de l'IA", une stratégie ambitieuse visant à positionner l'Union européenne comme leader mondial dans le domaine de l'intelligence artificielle. Cette initiative s'inscrit dans un contexte de compétition internationale intense avec les États-Unis et la Chine, et vise à combler le retard accumulé tout en promouvant une approche spécifiquement européenne de l'IA.

Ce plan s'appuie sur des initiatives précédentes, notamment le Règlement sur l'IA (AI Act), entré en vigueur le 1er août 2024, qui est le premier cadre juridique complet au monde pour réguler l'IA. Ce règlement classe les applications d'IA selon leur niveau de risque. Les lignes directrices sur les pratiques interdites en matière d’IA ont été publiées par la Commission européenne le 04 février 2025.

Selon la vice-présidente de la Commission européenne chargée de la souveraineté technologique, Henna Virkkunen, "La course au leadership en matière d'intelligence artificielle est loin d'être terminée". Malgré le retard pris face aux États-Unis et à la Chine, l'Union européenne entend capitaliser sur ses forces existantes, notamment son capital humain. En effet, l'UE détient "le plus grand nombre de chercheurs par habitant au monde et des milliers de start-ups actives dans le domaine de l'IA". L'Europe dispose d'atouts considérables : un paysage d'IA dynamique porté par "la recherche, les technologies émergentes et un écosystème florissant de start-ups et de scale-ups".

Cependant, pour concrétiser cette ambition, l'UE devra relever plusieurs défis majeurs, en particulier le faible taux d'adoption actuel de l'IA par les entreprises européennes, qui ne s'élève qu'à 13,5%.

Une stratégie articulée autour de cinq piliers clés


Le plan européen repose sur cinq axes stratégiques interdépendants, conçus pour renforcer l'écosystème d'IA de l'Union en couvrant l'ensemble de la chaîne de valeur.

1. Infrastructures de calcul massives. Socle technologique

L'Europe mise sur le déploiement de "Giga-usines IA" (AI Gigafactories), des centres de calcul haute performance équipés d'environ 100.000 puces IA de pointe (GPU), soit quatre fois la capacité des usines actuelles. Ces installations s'intègreront à un réseau de 13 "Usines IA" (AI Factories) déjà en cours de déploiement autour des supercalculateurs européens existants.

Pour financer ces infrastructures, l'initiative InvestAI mobilisera 20 milliards d'euros pour développer jusqu'à cinq Giga-usines. Ce programme s'inscrit dans un objectif plus large de mobilisation de 200 milliards d'euros d'investissements publics et privés dans l'IA européenne.

Une nouvelle législation, le "Cloud and AI Development Act", vise également à tripler la capacité des centres de données européens dans les cinq à sept prochaines années, tout en privilégiant la durabilité environnementale.

2. Accès aux données massives et de qualité

Le deuxième pilier concerne l'accès aux données, ressource essentielle au développement de l'IA. Des "Laboratoires de données" (Data Labs) seront créés pour collecter, nettoyer et organiser des volumes importants de données provenant de sources diverses.

Une "Stratégie pour l'Union des données" (Data Union Strategy) sera lancée en 2025 pour créer un véritable marché intérieur des données en Europe, visant à améliorer l'interopérabilité et la disponibilité des données tout en facilitant leur partage au-delà des frontières nationales et sectorielles.

3. Adoption de l'IA dans les secteurs stratégiques

Face au faible taux d'adoption actuel - seulement 13,5% comme mentionné plus haut - la Commission lancera la stratégie "Appliquer l'IA" (Apply AI Strategy). Celle-ci visera à développer des solutions d'IA sur mesure et à stimuler leur utilisation dans des secteurs stratégiques clés, tant publics que privés.

Les Pôles européens d'innovation numérique (EDIH) et les Usines IA joueront un rôle central dans cette stratégie d'adoption, accompagnant les PME et les organisations du secteur public dans l'intégration de l'IA. L'objectif fixé est ambitieux : atteindre 75% d'entreprises utilisant l'IA d'ici 2030.

4. Compétences et talents en IA

Pour répondre à la pénurie de spécialistes, le quatrième pilier prévoit le lancement d'une "Académie des compétences en IA" (AI Skills Academy) au deuxième trimestre 2025.

Cette académie déploiera plusieurs initiatives :

  • programmes de bourses pour attirer les talents,
  • diplôme pilote sur l'IA générative,
  • programmes d'apprentissage en collaboration avec l'industrie,
  • et programmes de reconversion.

L'UE facilitera également le recrutement international d'experts via des initiatives comme le "Réservoir de talents de l'UE" (EU Talent Pool) et l'action Marie Skłodowska-Curie "MSCA Choose Europe". L'objectif est de créer des voies de migration légale pour les travailleurs qualifiés non-UE et d'inciter les talents européens partis à l'étranger à revenir.

5. Cadre réglementaire simplifié

Le dernier pilier vise à faciliter la mise en œuvre du Règlement sur l'IA (AI Act), entré en vigueur le 1er août 2024. Un "Service d'assistance Législation sur l'IA" (AI Act Service Desk) sera lancé pour aider les entreprises, en particulier les PME, à comprendre et à respecter les exigences réglementaires.

La Commission cherche à maintenir l'approche européenne basée sur les risques, tout en réduisant les charges administratives pour les entreprises et en assurant une application "simple et harmonieuse" du cadre réglementaire.

Consultations publiques et prochaines étapes


Avec ce plan d'action, la Commission a lancé deux consultations publiques ouvertes jusqu'au 4 juin 2025. La première concerne le règlement sur le développement de l'informatique en nuage et de l'IA, tandis que la seconde porte sur la stratégie "Appliquer l'IA". Une troisième consultation sur la stratégie pour une union des données sera lancée en mai.

En parallèle, des dialogues ciblés seront organisés avec les représentants de l'industrie et du secteur public pour identifier les secteurs prioritaires et affiner les actions de la stratégie "Appliquer l'IA".

Une réponse européenne face à la domination mondiale


Le fossé à combler

Cette stratégie européenne intervient dans un contexte de domination écrasante des États-Unis et de montée en puissance de la Chine dans le secteur de l'IA. En 2024, les investissements privés en IA aux États-Unis ont atteint 109,1 milliards de dollars, un montant colossal comparé à celui de la Chine (9,3 milliards de dollars) et plus encore du Royaume-Uni (4,5 milliards).

Cette disproportion se reflète également dans la production de modèles d'IA influents : en 2024, 40 des modèles les plus importants provenaient d'institutions américaines, contre seulement 3 d'institutions européennes.

Le taux d'adoption de l'IA par les entreprises illustre également cet écart : 78% des organisations américaines déclaraient utiliser l'IA en 2024, contre seulement 13,5% en Europe.

La "troisième voie" européenne

L'UE tente de tracer une voie distincte, souvent qualifiée de "troisième voie", en cherchant à concilier l'innovation technologique avec un cadre réglementaire et éthique fort, centré sur les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux. Cette approche contraste avec le modèle américain, largement dominé par les forces du marché et une réglementation plus légère, et avec le modèle chinois, où l'État joue un rôle central dans l'orientation stratégique, le financement et le contrôle de l'IA.

L'Europe mise sur ses forces (recherche de qualité, marché unique potentiel, cadre éthique) tout en tentant de combler ses faiblesses (infrastructure, financement, adoption) pour développer un modèle d'IA de confiance ("trustworthy AI"), centré sur l'humain et aligné sur les valeurs européennes.

Atouts et défis de la stratégie européenne


Forces de l'approche européenne

Le plan d'action européen présente plusieurs atouts majeurs : une vision globale couvrant l'ensemble de la chaîne de valeur de l'IA, une cohérence avec les valeurs fondamentales de l'UE, et une focalisation sur des éléments critiques longtemps négligés comme l'infrastructure de calcul à très grande échelle.

La stratégie s'appuie également sur les points forts structurels de l'Europe, notamment son réseau de recherche académique d'excellence, son tissu industriel diversifié et sa position de pionnier en matière de réglementation de l'IA avec l'AI Act.

Défis persistants et obstacles

Malgré ces ambitions, plusieurs défis majeurs pourraient compromettre le succès du plan :

  • Financement et investissement privé. La mobilisation effective des 200 milliards d'euros ciblés, notamment l'attraction des capitaux privés nécessaires pour les Giga-usines, reste une incertitude majeure face au déficit chronique de capital-risque en Europe.
  • Mise en œuvre et coordination. Coordonner efficacement les actions et les investissements entre les 27 États membres représente un défi politique et administratif considérable, notamment pour des initiatives transnationales comme les Giga-usines.
  • Obstacles au partage des données. Les barrières techniques, juridiques et politiques à la création d'un véritable marché unique des données persistent et devront être surmontées pour que la Stratégie pour l'Union des données soit effective.
  • Compétition mondiale pour les talents. Malgré les initiatives prévues, l'Europe peine à retenir ses meilleurs éléments et à attirer suffisamment d'experts face aux rémunérations et opportunités offertes aux États-Unis.
  • Équilibre entre régulation et innovation. Trouver le juste milieu entre un environnement favorable à l'innovation et le maintien de normes élevées reste un défi majeur, l'approche réglementaire européenne étant parfois perçue comme un frein potentiel.
  • Dépendances technologiques. L'Europe reste dépendante de fournisseurs non européens pour des composants critiques comme les puces IA avancées, et la domination des fournisseurs de cloud américains constitue également une préoccupation.

Consultations publiques et prochaines étapes


Pour garantir l'implication des parties prenantes, la Commission a ouvert plusieurs consultations publiques :

Ces consultations visent à recueillir des retours pour affiner les initiatives, notamment sur des aspects comme l'efficacité énergétique et les investissements dans le cloud, via le futur Cloud and AI Development Act, attendu plus tard en 2025.

En résumé


Le Plan d'action "Continent de l'IA” marque une étape décisive dans l'ambition européenne de devenir un acteur incontournable de l'intelligence artificielle. En combinant investissements massifs dans les infrastructures, facilitation de l'accès aux données, stimulation de l'adoption, développement des talents et simplification réglementaire, l'Europe espère transformer ses industries traditionnelles et son vivier de talents en véritables moteurs d'innovation.

Le plan d'action pour le continent de l'IA vise à transformer les industries traditionnelles européennes en moteurs d'innovation, avec un objectif ambitieux de 75 % des entreprises utilisant l'IA d'ici 2030. Cela pourrait avoir un impact significatif sur des secteurs clés comme la santé, l'éducation, l'industrie et la durabilité environnementale, tout en préservant les valeurs démocratiques et la diversité culturelle. L'accent mis sur une IA humaine et digne de confiance positionne l'Europe comme un modèle pour une approche éthique et réglementée de l'IA.

Pour en savoir plus

Pascal Poty


Agence du Numérique

Antoine Hublet


Agence du Numérique