Dans le cadre du programme Industrie du Futur de Digital Wallonia, l'AdN s'est penchée sur les défis et opportunités de la digitalisation dans le secteur de la pomme de terre en Wallonie, une filière qui allie traditions agricoles et innovation technologique. Les grands groupes avancent rapidement, tandis que les PME comme les Chips de Lucien progressent par étapes. La digitalisation optimise la production et respecte les normes de qualité, mais nécessite des investissements et des compétences.
Un secteur puissant et exportateur
Le secteur de la pomme de terre en Wallonie se distingue par sa puissance économique et son orientation à l’export. Emmanuel Vanzeveren, codirecteur de Wagralim, souligne : " C’est une activité essentielle pour notre région, à la fois en termes d’emplois et de valeur ajoutée. Mais cette réussite repose en partie sur des marchés internationaux volatils, et toute perturbation peut fragiliser l’équilibre. " Il évoque notamment la concentration industrielle autour de quelques géants, qui réalisent des investissements colossaux et cherchent aujourd’hui à dupliquer leur modèle à l’étranger, en raison de la saturation progressive des zones de culture locales.
Les défis des PME
Thomas Cnockaert, agriculteur et fondateur des Chips de Lucien, confirme cette tension : " Il y a encore quelques mois, le secteur semblait prometteur. Puis sont arrivées les mesures protectionnistes aux États-Unis, qui ont perturbé les flux d’exportation, notamment pour les frites. Cela a contraint certains producteurs canadiens à réorienter leurs ventes vers les marchés européens, accentuant la concurrence. En tant qu’agriculteur, j’ai directement senti l’impact. En revanche, notre activité de transformation locale en chips est moins exposée à ces fluctuations. "
Une digitalisation contrastée
Alors que les grands industriels ont largement intégré le numérique dans leurs processus, le fossé reste grand avec les structures plus modestes. Emmanuel Vanzeveren détaille : " Dans les grandes usines, chaque pomme de terre est scannée, analysée, triée automatiquement. On parle de vision par caméra, d’analyse spectrale, de capteurs en temps réel pour détecter le moindre défaut. Ces technologies permettent d’optimiser chaque gramme de matière première, chaque seconde de production. "
Anne Reul, directrice générale de la Fevia , souligne le rôle clé du numérique dans le respect des normes de qualité toujours plus strictes : " Aujourd’hui, une entreprise agroalimentaire ne peut plus faire l’impasse sur la traçabilité, la gestion des données de production ou les contrôles qualité numériques. C’est une question de survie. Mais cela suppose des investissements conséquents, et surtout du temps et des compétences que les petites structures n’ont pas toujours. "
L’innovation à taille humaine
Chez Les Chips de Lucien, le numérique est abordé comme un outil pragmatique, au service d’une production artisanale assumée. " On a mis en place un ERP pour suivre la logistique et la traçabilité. Chaque caisse, chaque sachet de chips a un code unique. On sait d’où viennent les pommes de terre, quand elles ont été transformées, et dans quelles conditions. Sans ça, ce serait devenu ingérable ", explique Thomas Cnockaert. " Mais nous tenons à conserver un savoir-faire manuel, une cuisson maîtrisée, une découpe fine, qui font notre identité. Tout n’est pas mécanisable, et tout ne doit pas l’être. "
Il reconnaît toutefois que certaines étapes pourraient être automatisées à l’avenir, notamment pour soulager les équipes : " On y pense, oui. Pas par effet de mode, mais parce qu’on veut continuer à être rentable sans sacrifier la qualité. Ce qui manque souvent, ce n’est pas l’idée, mais l’accompagnement pour la mettre en œuvre efficacement. "
C’est là que les programmes de soutien comme Industrie du Futur de Digital Wallonia peuvent jouer un rôle. " La présence d’experts capables d’aider à structurer une démarche numérique progressive, adaptée aux réalités de terrain, est fondamentale " , insiste Anne Reul. " Le numérique ne doit pas être une montagne infranchissable, mais un chemin balisé. "