Dans son chapitre consacré au numérique, la Déclaration de Politique Régionale (DPR) 2024-2029 du Gouvernement Wallon identifie les compétences numériques comme l'une de ses priorités d'action, en phase avec l'ambition "usages numériques" de la stratégie numérique de la Wallonie, Digital Wallonia. Décryptage par l'Agence du Numérique (AdN).
Ainsi que l'indique la Déclaration de Politique Régionale, tous les secteurs de l’économie sont concernés par la transformation numérique.
En effet, d’après l’Europe :
- 90% des emplois nécessitent actuellement des compétences numériques (transversales).
- 44,5% des européens ont des compétences numériques lacunaires et 42% d'entre eux sont sans emploi.
L’ambition relative au développement des compétences numériques entend répondre à cet enjeu : "Renforcer les compétences numériques en Wallonie est essentiel pour la compétitivité et l’emploi. Le Gouvernement optimisera les collaborations entre le monde de l’enseignement et les opérateurs de formation publics et privés pour élargir l’offre de formations digitales adaptées aux besoins du marché. En matière de perfectionnement et développement de compétences (upskilling-reskilling), le Gouvernement soutiendra la formation continue, notamment en entreprise, avec des partenaires privés, en favorisant les formations courtes, professionnalisantes, modulaires et certifiantes, par exemple, les compétences badgées, répondant aux besoins des entreprises et facilitant l'insertion des publics éloignés de l’emploi" (DPR, p.28).
Pour y parvenir, l’Agence du Numérique (AdN) à travers la stratégie Digital Wallonia, propose plusieurs lignes d’actions.
1. Former pour répondre aux besoins du marché
Actuellement l’offre de formation numérique est trop peu sollicitée. Pourquoi ?
D’après le dernier baromètre entreprises de l’AdN, 22% des entreprises wallonnes employant du personnel déclarent avoir formé au moins un collaborateur dans un domaine numérique entre 2020 et 2022. C’est un recul de 10% par rapport à 2020.
L’explication réside d’une part dans la perception des dirigeants, qui ne sont que 45% (50% dans l’économie sociale) à se dire convaincus par le numérique et prêt à en saisir les opportunités. 74% d’entre eux affirment même ne pas avoir besoin de nouvelles compétences pour progresser dans leur numérisation, alors que 58 % des travailleurs disent avoir besoin d’une formation et d’une orientation supplémentaires en matière de technologie). D’autre part, l’offre de formation et le dispositif d’aide qui l’accompagne, sont jugés inadaptés, complexes et peu lisibles. 7% des entreprises dans l’industrie indiquent ainsi que malgré une formation, le niveau de compétences de leur personnel reste insuffisant (Forem, 2023).
Pour travailler la perception des dirigeants, l’AdN pilote le programme leadership numérique de Digital Wallonia. Son objectif est de proposer une approche dans laquelle tous les paramètres sont pris en compte en ce compris les dimensions humaines et organisationnelles. Concrètement l’AdN a mis en place des ateliers leadership spécialement dédiés aux dirigeants qu'il est proposé de généraliser dans tous les secteurs. Point de départ idéal de tout processus de transformation numérique, ils permettent de murir une réflexion en se posant les bonnes questions et de définir une vision qui intègre notamment les enjeux du change management et du développement de compétences.
Pour améliorer l’adéquation de l’offre de formation numérique tant sur le fond (adéquation aux besoins) que sur la forme (modalités pédagogiques et dispositifs d'aide), l’AdN propose de mettre en place, avec le Forem, un Comité d’orientation stratégique, qui rassemblerait des représentants des principaux opérateurs de formation publics et privés de différents secteurs, ainsi que des experts métiers, afin de définir et valider les priorités de formation en matière de développement des compétences numériques relatifs aux enjeux prioritaires du marché de l’emploi.
Enfin, afin de donner l’envie à chacun d’investir dans ses compétences numériques, indispensables au maintien ou au développement de son employabilité, l’AdN propose de mettre en œuvre une campagne de mise en action pour orienter les comportements (responsabilisation individuelle).
2. Former pour assurer l’employabilité wallonne
Il s’agit de relever deux défis conjointement : l’UpSkilling (mettre à niveau ses compétences) et le ReSkilling (se réorienter professionnellement).
UpSkilling des compétences numériques.
De quelles compétences parle-t-on ?
Certes, en matière d’upskilling, il est possible d’upgrader tout type de compétences métiers (en raison de changement de normes, d’évolution "métiers" ex : nouveaux procédés, matériaux, outils dont l’arrivée de logiciels métiers, …), mais dans le contexte actuel, il est surtout question d’upgrader les compétences numériques des travailleurs afin qu’ils soient en capacité de maintenir voire de développer leur polyvalence et leur employabilité.
Les compétences numériques auxquelles nous faisons référence ici sont les compétences transversales, d’usages, qui concernent tous les travailleurs quel que soit leur métier. Ces compétences sont décrites dans le référentiel européen de littératie numérique DigComp. D’après l’Europe, il s’agit des compétences transversales clés pour "vivre, travailler, s’épanouir" dans les sociétés d’aujourd’hui.
Enfin et cela peut sembler paradoxal, c’est moins par des formations techniques que via le développement des compétences transversales (soft skills) que l’on va faire monter les bénéficiaires en compétences numériques (de type digcomp). Certes une petite formation technique (découverte ou prise en main d’un logiciel métier) reste utile, mais rien ne sert de les multiplier. L’enjeu consiste à créer les conditions d’auto-apprentissage des travailleurs afin qu’ils s’adaptent aux évolutions de plus en plus rapides et qu’ils soient les acteurs du développement de leurs compétences tout au long de leur vie professionnelle.
D’après Agoria, 1.180.000 salariés nécessitent une mise à jour de leurs compétences numériques en Wallonie (UpSkilling).
En 2020, l’AdN et ses partenaires ont mené un projet-pilote UpSkills Wallonia. Fort de cette expérience un programme intégré adapté à la réalité de notre tissu économique composé à 96% d’entreprises de petite taille voire de très petite taille a été élaboré et n’attend plus qu’à être implémenté. En attendant, les programmes de Digital Wallonia pour l’accompagnement à la transformation numérique ont été adaptés pour intégrer les conclusions du pilote, notamment l’importance du facteur humain dans la réussite des processus de transformation, via la mise en place d’un stratégie de change management et de développement de compétences.
Les priorités en matière de ReSkilling
L’enjeu du ReSkilling consiste à réorienter les travailleurs ou réinsérer les demandeurs d’emploi, voire les NEET (Not in Education Employement or Training), vers des métiers porteurs d’avenir professionnel, au rang desquels les métiers du numérique. D’après l’IWEPS, "En Wallonie, en 2016, 16,4 % des 18-24 ans ne sont ni à l’emploi et ne suivent ni enseignement, ni formation".
D’après Agoria, 81.000 travailleurs seront concernés par une reconversion d’ici 2030 et 14.500 postes IT sont à pourvoir en FWB (cette pénurie de profils IT pourrait atteindre les 22.000 postes à pourvoir d’ici 2030) et dans le même temps, la Wallonie est confrontée à une pénurie de vocation des jeunes pour les filières STEM:
- 15,6% des étudiants en FWB sont dans des filières STEM (chiffres ARES 2017-2018), contre 23% pour la moyenne européenne (qui est déjà insuffisante) ;
- Par ailleurs, seul 24,3% de ces étudiants sont de jeunes femmes et elles ne sont que 8,5% dans les filières informatiques (en légère progression ces dernières années), mais on dénombre environ 28% de femmes dans les formations professionnelles de type court (web design, infographie, etc.).
La pénurie de la main d’œuvre qualifiée freine l’innovation au sein des entreprises et affaiblit leur compétitivité et leur capacité de développement.
3. Un Plan intégré de lutte contre la pénurie de profils IT
Lutter contre la pénurie de profils qualifiés, et en particulier de profils IT, sur le marché de l'emploi implique de coordonner un ensemble d’actions complémentaires.
Stimuler les vocations des jeunes (notamment des jeunes filles) pour les filières STEM / numériques
Stimuler les vocations des jeunes pour les filières scientifiques et techniques, dites STEM (Sciences, Technology, Engineer and Mathematics), dont numériques (informatiques) est un défi qui nécessite d'aller plus loin que la réforme actuellement prévue du Pacte d’Excellence et du Tronc commun, en intégrant un véritable cours d’informatique dans les programmes de cours. En effet, les sciences informatiques font aujourd’hui partie intégrante des disciplines scientifiques auxquelles tous les élèves devraient avoir accès. Au même titre qu’ils ont un cours de biologie, de physique ou de chimie, ils devraient également bénéficier d'un cours d'informatique.
Le défi des vocations pour les disciplines et filières scientifiques et techniques implique également de faire des enseignants de meilleures "passeurs", tant les enseignants "généralistes" du primaire que les enseignants "spécialistes" (disciplinaires) du secondaire. Diverses études indiquent en effet que les étudiants du supérieur inscrits dans les filières STEM puisent plus fréquemment leur vocation dans l'exemple familial que dans l'inspiration des enseignants.
Depuis 2016, en parallèle de l'implémentation des réformes de l'enseignement (phasage prévu jusqu'en 2027) et en attendant qu'elles produisent leurs effets, l’AdN mène l’action WallCode dans le cadre du programme Digital Wallonia 4 Edu, afin d'initier les jeunes dès le plus jeune âge aux sciences informatiques, à la logique algorithmique et aux langages de programmation. Concrètement divers acteurs de terrain (Kodo Wallonie, Kaleïdi, CoderDojo Belgium, etc.) bénéficient d'un soutien financier de Digital Wallonia, afin de proposer des animations coding en classe ou des activités parascolaires.
Lutter contre les stéréotypes (notamment de genre) associés aux métiers STEM
A côté du travail de fond pour stimuler les vocations vers les filières STEM, un travail non moins important est nécessaire pour déconstruire les stéréotypes de genre associés à ces filières et favoriser l’inclusion des filles.
Ces stéréotypes sont portés et reproduits par la société toute entière (parents et grands-parents, encadrement pédagogique, médias…), si bien que d'après les travaux du professeur Frédéric Nils (Université de Louvain), dès l'âge de 10 ans les enfants possèdent tous à peu près la même représentation mentales des filières métiers, avec une catégorisation des études plus ou moins faciles ou difficiles, des métiers plus ou moins rémunérateurs et plus ou moins socialement valorisés et ... plutôt réservé aux filles ou aux garçons.
Un travail sur les mentalités prend du temps, mais le professeur Nils pointe quelques "quick-win" possibles :
- Mettre en avant des rôles modèles (via des influenceurs ?). Ces rôles modèles sont d'autant plus efficaces qu'ils sont proches des jeunes. L'enjeu est donc d'identifier des rôles modèles du même sexe, proches en âge, voire issus de la même "communauté".
- Créer des sensibilisations métiers pensées pour les filles (qui n’ont pas les mêmes attentes et besoins que les garçons).
- Rendre l’enseignement supérieur, davantage "woman friendly" en favorisant le regroupement des étudiantes et en luttant contre le sexisme.
- Etc.
Favoriser la (ré)insertion et la réorientation professionnelles (ReSkilling) vers les métiers du numérique
De nombreuses initiatives sont prises afin de favoriser le matching entre les offres d’emploi et les profils disponibles (par exemple le Job IT Day de Numeria).
Au niveau de la réinsertion professionnelle, les enjeux sont multiples, notamment, la mise à l’emploi des NEETs (ces jeunes entre 16 et 24 ans qui ne sont ni à l'école, ni à l'emploi, ni en formation), vers les métiers du numérique, et là aussi avec un focus sur les jeunes femmes. Car, oui, cet enjeu implique également de lutter contre les stéréotypes de genre et le sexisme, à l’image de BeCode ou de Campus 19, qui organisent des sélections réservées aux femmes et favorisent ainsi le nombre de femmes qui s'inscrivent ensuite à la formation.
Il s'agit enfin de favoriser le maintien des femmes dans l’emploi IT en rendant les environnements de travail "woman friendly". De nombreuses femmes ingénieurs/informaticiennes quittent leur travail au bout de 5 ans.
Des études montrent que ce sont les entreprises qui prônent la diversité (au sens large) qui se révèlent les plus "woman friendly".