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Publié le 27 juin 2017

L’IWEPS a réalisé l’analyse des tensions et des enjeux afférents au processus de digitalisation et de robotisation de l’économie wallonne, principalement au regard de l’emploi, de manière à identifier des axes de politique publique adéquats. Cet travail s’inscrit dans la perspective de la stratégie numérique Digital Wallonia.

A la demande du Gouvernement wallon, l’IWEPS a réalisé l’analyse des tensions et des enjeux afférents au processus de digitalisation et de robotisation de l’économie wallonne, principalement au regard de l’emploi, de manière à identifier des axes de politique publique adéquats.

Cette demande s’inscrit dans le déploiement de la stratégie numérique wallonne Digital Wallonia, adoptée par le Gouvernement wallon en décembre 2016. Pour rappel, Digital Wallonia décrit les défis majeurs du numérique pour la Wallonie, identifie les pratiques internationales les plus pertinentes et dégage les mécanismes vertueux à mettre en place pour stimuler le numérique dans notre région et faire de celle-ci un acteur majeur de la révolution numérique. Il fixe le cadre dans lequel s’inscriront toutes les actions du Gouvernement wallon en la matière. Il est le fruit d’une concertation de l’ensemble des acteurs mobilisés dans le cadre des travaux menés en 2015 durant les Assises du Numérique, sous le pilotage du Conseil du Numérique.

Digitalisation. Emploi et perspectives sectorielles


Cette analyse s’est basée sur une démarche originale proposant une analyse quantitative (traitement de bases de données et simulations) et qualitative (examen de la littérature et avis d’experts) de la problématique de la digitalisation et des transformations qu’elle engendre au niveau de l’emploi et dans une perspective sectorielle.

La littérature indique que l’emploi a connu, au cours de l’histoire industrielle, de profondes mutations, tant quantitatives (en termes de volume) que qualitatives (en termes de contenu et de structure), notamment sous la poussée des (r)évolutions technologiques et des changements de l’organisation du travail qui y sont associés. De manière globale, la relation entre l’évolution du volume de l’emploi, d’une part, et l’adoption de nouvelles technologies, d’autre part, s’avère positive. Néanmoins, la nature et la profondeur des progrès technologiques actuels, associés au ralentissement récent de la productivité, amène à questionner ce caractère positif et à s’interroger sur les modalités d’adaptation du système socio-économique face à ces progrès.

Répondre à cette question suppose de dépasser une lecture des transformations technologiques uniquement en termes de processus de destruction d’emplois.

Il est nécessaire de considérer également les créations d’emplois. De fait, les « innovations de procédé », qui sont associées à des gains de productivité pouvant, dans un premier temps, jouer défavorablement sur l’emploi, peuvent aussi influencer, dans un deuxième temps, positivement le développement de l’activité par des gains de parts de marché et avoir des conséquences bénéfiques sur l’emploi. Par ailleurs, des « innovations de produit » peuvent aussi émerger, avec des conséquences potentiellement favorables pour l’emploi.

Le recours aux nouvelles technologies requiert de nouveaux types d’emplois et induit le développement de nouveaux marchés afférents à ces technologies. Enfin, la digitalisation du travail peut se traduire autrement que par la substitution pure et simple du capital humain par la machine et par la destruction d’emplois. Fréquemment, elle se traduit plutôt par des processus de reconfiguration du contenu des postes, avec l’incorporation de nouvelles tâches et la disparition d’anciennes au sein des métiers.

Les principaux résultats


Ces différents mécanismes rendent le scénario d’une extinction d’emplois massive peu plausible. Les avancées technologiques continueront toutefois à favoriser plutôt l’emploi qualifié et très qualifié, et les emplois menacés seront des métiers requérant peu ou pas de qualification et peu chargés en compétences.

Les résultats empiriques originaux indiquent, par ailleurs, que :

  • la Wallonie apparaît sous-spécialisée dans le secteur du numérique au niveau du nombre d’entreprises :
  • le poids que pèse notre région dans le secteur du numérique belge est inférieur au poids qu’elle pèse dans l’ensemble de l’économie belge. La part de l’emploi national du secteur du numérique attribué à la Wallonie est très faible, comparativement aux deux autres Régions ;
  • le secteur du numérique wallon se caractérise par un certain dynamisme au regard du poids des plus jeunes entreprises, mais les entreprises davantage naissantes sont sous-représentées. Cette situation peut s’interpréter comme étant l’indicateur d’un faible niveau de renouvellement des entreprises du secteur dans notre Région ;
  • le numérique wallon est surtout constitué de petites structures et les entreprises de plus grande taille ne sont pas suffisamment nombreuses pour améliorer le positionnement de la région dans ce créneau de l’économie. Dès lors, la part de l’emploi belge du numérique localisé en Wallonie est très faible, comparativement aux deux autres régions, même si elle tend à augmenter ces dernières années ;
  • pour ce qui est de l’impact potentiel de la digitalisation sur l’emploi régional, notre exercice d’estimation quantitative indique que près de la moitié de l’emploi wallon existant serait menacé par la substitution d’ici une à deux décennies, ce qui correspond à quelque 564.000 emplois. Il s’agit là d’une estimation maximaliste à relativiser à la lumière de la littérature et d’autres estimations calculées par l’IWEPS ;
  • certains métiers sont particulièrement exposés à cette menace : les employés de type administratif et le personnel des services directs aux particuliers, ainsi que les commerçants et les vendeurs. Ils représentent près de quatre emplois menacés sur dix mais, surtout, concernent une majorité de femmes;
  • Les métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat, et les professions élémentaires, sont également vulnérables ;
  • sur le plan sectoriel, trois secteurs de l’économie wallonne risquent d’être particulièrement affectés par la digitalisation au regard de leur composition plus riche en métiers vulnérables. Il s’agit du commerce et de la réparation d’automobiles et de motocycles, de l’industrie manufacturière et de l’administration publique ;
  • le secteur de la santé humaine et de l’action sociale n’est pas à l’abri de la menace de substitution au vu de son poids important dans l’économie régionale. Il regroupe toutefois un volume non négligeable d’emplois liés à des métiers bien moins exposés à une automatisation des tâches, comme les professions intellectuelles et scientifiques ;
  • ces résultats restent toutefois partiels et incomplets car ils se rapportent à une évaluation brute des effets sur l’emploi basée sur l’éventualité statistique d’une substitution d’emplois existants par des machines, sans considérer le potentiel de création d’emplois nouveaux que générerait, directement ou indirectement, la révolution digitale. Il est, en outre, difficile de déterminer comment ces tendances se manifesteront à l’avenir car d’autres évolutions lourdes ont lieu concomitamment ;
  • les entretiens menés auprès d’acteurs-ressources wallons issus de l’administration et des secteurs économiques entérinent le fort contraste entre les grandes entreprises et les PME. Les premières se positionnent sur des marchés très ouverts et fortement internationalisés, où les contraintes de compétitivité sont très présentes et où les gains de productivité issus des technologies digitales font l’objet d’investissements importants. Les PME sont, par contre, confrontées, d’une part, à des réalités très différentes, également tributaires des qualités intrinsèques à leur marché et, d’autre part, à leur capacité d’investissement dans la transition digitale.

Des axes d'action alignés sur les 5 thèmes structurants de Digital Wallonia


A la lumière de ces résultats, sept axes d’action ont été identifiés. Ceux-ci s'inscrivent clairement dans les 5 thèmes structurants de Digital Wallonia, comme le montre la liste ci-dessous.

Thèmes Secteur du Numérique et Economie par le Numérique :

  • soutenir à la fois l’offre et la demande de services et produits digitaux.
  • adapter les cadres normatifs en matière de travail et les modalités d’élaboration de ceux-ci.

Thème Territoire connecté et intelligent :

  • incorporer fortement la dimension territoriale dans la politique d’adaptation au digital.
  • appuyer cette politique à la politique en matière de transition énergétique.

Thème Compétences et emploi :

  • adopter et renforcer les compétences par l’enseignement et la formation.
  • prévenir les inégalités socio-économiques portées par la digitalisation, notamment en repensant la fiscalité.

Thèmes Services publics ouverts :

  • enrichir le rôle des opérateurs publics afin de permettre plus d’innovations non seulement au sein de l’administration mais aussi à l’extérieur.

La mise en œuvre de ces axes doit intégrer un des enseignements majeurs de l’analyse. Celle-ci a en effet démontré que les dynamiques observées, ainsi que leurs implications, varient en nature et en intensité selon les secteurs d’activité. L’élaboration et la réalisation de politiques publiques dans le domaine de la digitalisation, et plus particulièrement en matière d’emplois concernés par celle-ci, suppose la prise en compte de cette diversité et le développement d’une réflexion à plusieurs niveaux d’action, du plus large au plus spécifique.

Cette différenciation des logiques à l’œuvre dans les divers espaces d’activité n’est, par ailleurs, pas étrangère à l’une des conséquences de la digitalisation, à savoir la recomposition des structures organisationnelles, dans le sens d’une décentralisation et d’une dispersion des lieux de décision, de conception, de production et d’échange.

Le passage d’un modèle centralisé et hiérarchisé à un modèle réticulaire multimodal, caractéristique de l’évolution de nos systèmes socio-économiques actuels, est facilité et amplifié par les avancées de la digitalisation. Cette tendance lourde nécessite, elle aussi, d’être prise en compte pour la conception et l’application de politiques pertinentes et efficientes.

L’action publique demande, à ce niveau, une adaptation à cette transformation profonde.