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Publié le 21 décembre 2015

Comme chaque année, le consultant IT Gartner a livré ses prédictions numériques pour 2016. Données et algorithmes, Internet des objets et technologies 3D, machines et assistants personnels intelligents, etc. sont au coeur de l’émergence d’un environnement numérique global.

Vous entrez dans un restaurant et vous vous installez à une table pour déguster un menu composé pour vous par un ... "robot maître d'hôtel", sur base de vos préférences et de vos goûts. Son interaction, la manière dont il vous sert ou le rythme de succession des plats sont également basés sur vos préférences. Ensuite, dans un magasin de vêtements, un assistant numérique intégré au miroir de la cabine d'essayage vous recommande une tenue qui correspond à votre taille ou à un usage particulier. Il vous suggère également de profiter de réductions temporaires sur vos produits favoris. Enfin, vous payez directement avec votre smartphone pour éviter de faire la file.

C'est avec ces deux scénarios que le cabinet de conseil Gartner, spécialisé dans l'IT, a choisi d'introduire ses 10 prédictions pour 2016 en matière de numérique. Deux scénarios parmi de nombreux autres désormais possibles dans un monde algorithmique et intelligent, un monde où humains et machines devront apprendre à fonctionner ensemble. Cette vision confirme l'analyse proposée par l'Agence du Numérique sur l'accélération brutale de la transformation numérique dont la troisième phase est à l'oeuvre aujourd'hui.

Dans un premier temps, le numérique a changé la manière dont nous achetons nos produits et services, avec l'émergence de l'e-commerce, ou notre mode de consommation de l'information et des contenus (presse, musique, vidéos, ...). Il a ensuite profondément transformé le modèle pyramidal traditionnel de la société et des relations sociales, les interactions entre smartphones et réseaux sociaux agissant comme un puissant catalyseur pour l'empowerment numérique des citoyens, le développement de l'économie du partage et les phénomènes d'Uberisation qui y sont liés.

Désormais, le numérique se matérialise, au sens premier du terme, au coeur même de notre vie, privée ou professionnelle, individuelle ou collective. Mobilité, santé, industrie, villes, éducation, commerce, dans tous les domaines de notre vie, nous allons sasn doute bientôt devoir répondre à cette question fondamentale: que signifie être "humain" dans un monde "numérique"?

Les 10 prédictions proposées par Gartner peuvent être organisées en 3 grandes tendances:

  • Le "Digital Mesh". Littéralement le "maillage numérique", que l'on pourrait aussi traduire par "un environnement numérique global" qui correspond bien à l'idée évoquée plus haut de "matérialisation du numérique".
  • Smart Machines. Ce qui correspond à la fois aux machines physiques, comme les robots, mais aussi aux systèmes informatiques capables d'apprendre.
  • New IT reality. L'environnement numérique global et les machines intelligentes vont reposer sur un nouvelle génération d'architectures informatiques et de modèles de développement.

Digital Mesh. L'environnement numérique global


La toile des terminaux et capteurs

Plusieurs vagues technologiques successives ont conduit à une augmentation rapide du nombre de dispositifs connectés dans notre environnement, public, privé ou professionnel: smartphones, voitures, électroménager, caméras, mobilier intelligent, thermostat, vêtements, robots, ... Et le phénomène ne va faire que s'amplifier puisqu'on prévoit qu'en 2021, 1 million d'objets connectés pourraient être achetés toutes les heures.

Ces capteurs produisent des quantités énormes de données sur nos usages, nos préférences, ... notamment au travers des applications pilotées par les smartphones. Le problème actuel de ces différents capteurs est leur fonctionnement en silos. En leur permettant de travailler de manière concertée, en croisant et contextualisant les données collectées, tous ces dispositifs seront capables d'apprendre et vont devenir plus intelligents.

"L'Internet de Tout" va ainsi prendre tout son sens, puisque nous serons physiquement au coeur d'une "toile" de dispositifs connectés interagissant entre eux et avec nous, dans des logiques de communautés privées, professionnelles ou gouvernementales. Gartner s'attend notamment à des développements majeurs dans le domaine de la réalité virtuelle, au travers des wearables et de la réalité augmentée.

L'expérience utilisateur ambiante

Cette toile de terminaux et dispositifs captant toujours plus de données contextuelles, nous y aurons accès au travers de ce que Gartner appelle la "Ambient UX", c'est-à-dire une expérience utilisateur que l'on pourrait qualifier de "transparente". Actuellement, l'expérience contextuelle se limite souvent à unifier les interactions numériques au travers de différents terminaux et de la localisation de l'utilisateur, à l'instar de ce que propose GoogleNow.

Développer une nouvelle génération d'applications et des interfaces pour interagir dans le contexte d'un environnement ultra-connecté est un véritable défi, que certains experts abordent sous l'angle de l'opposition entre "Sticky UX" et "Slippy UX" ou, en d'autres mots, entre une expérience utilisateur "fixe" et une expérience utilisateur "fluide".

Cette nouvelle génération d'applications et de services devra tirer parti des capacités de synchronisation et de collaboration entre dispositifs connectés. A terme, leur "intelligence" sera telle qu'ils seront capables d'interagir avec nous sans que nous en soyons réellement conscients, dans une logique d'expérience utilisateur "ambiante". Cette expérience intègrera des éléments essentiellement factuels, comme la localisation, le bruit, la météo, la lumière, ... et des éléments plus subjectifs, comme les émotions, les goûts, les interactions sociales, ...

L'impression 3D nouvelle génération

Même s’il ne s’agit plus à proprement parler d’une tendance nouvelle, l’impression 3D fait désormais partie intégrante des processus industriels. Aujourd'hui, des entreprises comme Tesla ou SpaceX l'utilisent pour fabriquer des pièces de moteur ou de fusées. De son côté, la Nasa a expérimenté avec succès l'impression 3D d'une tubopompe. Cette pièce, essentielle pour l'alimentation en carburant des moteurs de fusée, est soumise à des contraintes techniques extrêmes (90.000 tours par minute). L’impression 3D a permis d'économiser 45% des pièces normalement nécessaires à la fabrication d'une turbopompe.

Les prochaines applications de l'impression 3D seront notamment liées à l'utilisation de nouveaux matériaux innovants, comme les alliages avancés de nickel, la fibre de carbone, le verre, l'encre conductrice, etc., ou encore par la combinaison de différents matériaux dans le même processus de fabrication. Les véritables implications liées à ces nouveaux modes de production ne sont pas encore envisagées de manière globale, notamment par les responsables politiques et le grand public. Gartner pointe ainsi l'adoption de la fabrication 3D dans les domaines de la biologie, de l'énergie, de la médecine ou de l'alimentation.

Smart Machines. Les machines et systèmes intelligents


Information of Everything

D'ici 2020, 25 milliards de dispositifs connectés vont générer des données sur pratiquement tous les sujets imaginables. Ce phénomène de Big Data, désormais clairement identifié, reste une opportunité à saisir pour de très nombreuses entreprises et organisations, privées et publiques. Disposer d'une quantité infinie de données est une chose, leur donner un sens en est une autre.

Les entreprises qui pourront activer la puissance de ces données disposeront d'un avantage compétitif majeur sur leurs concurrents. Pour cela, elles devront développer leur capacité à capter les données issues de sources multiples, à identifier les informations porteuses d'une véritable valeur stratégique et à proposer de nouveaux modèles business soutenus par des algorithmes.

Les machines apprenantes

On l'a dit, les technologies, et donc les machines, seront capables de recueillir toujours plus d'informations issues de leur propre activité, mais aussi de leur environnement. Le véritable changement viendra de leur faculté d'apprendre sur base de ces données, ce qui va les rendre "intelligentes" et capables de modifier leur comportement futur. Dans les processus industriels, par exemple, l'intervention humaine, généralement concentrée dans les phases initiales (analyse contextuelle, mise au point, configuration, pré-production, ...) ou dans la résolution des problèmes, sera de plus en plus remplacée par des machines. Les tâches réservées aux humains devront donc remonter à un niveau encore supérieur de ces processus.

Des exemples concrets existent déjà dans le domaine de la médecine où des systèmes intelligents sont capables de faire émerger des informations cachées relatives à l'efficacité de différents traitements pour une maladie spécifique. Pour Gartner, 20 pourcents des contenus professionnels dans les entreprises pourraient être rédigés par des machines dès 2018 (rapports aux actionnaires, documents juridiques, études de marché, communiqués de presse ou livres blancs par exemple).

Les agents intelligents

Les capacités des robots à égaler, puis surpasser les humains dans la réalisation de leurs tâches vont évoluer rapidement. La voiture autonome en est une illustration remarquable. Elle tire profit des expériences de véhicules autonomes dans des environnements contrôlés depuis des années, comme à Masdar City, vitrine de la ville intelligente située dans les Emirats Arabes Unis, ou dans les mines de Rio Tinto où des camions géants fonctionnent de manière autonome.

Dépasser les frontières de ces environnements spécifiques pour déployer des véhicules, des robots, des drônes ou des assistants personnels virtuels (VPAs) dans nos environnements quotidiens non contrôlés nécessite de nouvelles avancées qui devraient intervenir dans un délai relativement court selon Gartner.

Ces agents intelligents agiront de manière autonome ou semi-autonome. Ils deviendront les principales interfaces pour les utilisateurs au coeur de "l'expérience ambiante" décrite par Gartner. En lieu et place des traditionnels menus, formulaires et boutons des smartphones, les utilisateurs interagiront avec les agents intelligents au travers d'applications répondant au langage ou au stimuli naturels. De nombreuses expériences sont déjà opérationnelles, par exemple dans le domaine du service à la clientèle. Ainsi, la marque de vêtements japonaise Uniqlo a récemment dévoilé un assistant numérique virtuel qui vous propose un t-shirt en fonction de votre humeur. Dans un futur proche, ce type d'assistant sera capable d'écouter les clients et de fournir des réponses pertinentes, en fonction d'un contexte particulier.

Enfin, l'intelligence artificielle soulève évidemment de nombreuses questions éthiques. A ce sujet, il faut souligner l'initiative OpenAI lancée par plusieurs entrepreneurs américains, dont notamment Elon Musk (fondateur de SpaceX et Tesla Motors). OpenAI est un organisme à but non lucratif dont l'objectif est de garantir que la recherche sur l'intelligence artificielle se fera au bénéfice de l'humanité dans son ensemble.

New IT Reality. Les nouvelles architectures informatiques


Pour Gartner, ce modèle pourrait changer avec une nouvelle génération d'outils spécialisés permettant une approche offensive de la sécurité informatique, basée sur des modèles prédictifs, permettant par exemple à une application de se protéger elle-même. Cela passe notamment par l'application aux questions de sécurité du modèle agile et multidisciplinaire DevOps. Cela implique d'envisager les questions de sécurité dès la conception des applications et d'analyser de manière continue les comportements des utilisateurs et des dispositifs connectés (cartes de crédit, smartphones, terminaux, objets connectés, ...).

L'architecture client avancée

Pour permettre une appropriation et un déploiement par les entreprises, l'environnement numérique global et les machines intelligentes exigent une nouvelle génération d'architecture et de puissance informatiques. On parle ici d'une informatique neuromorphique, c'est-à-dire reproduisant la façon dont les neurones de notre cerveau réagissent aux stimuli et interagissent avec d’autres neurones.

Plusieurs acteurs importants du numérique ont déjà beaucoup progressé dans le domaine de technologies capables de reproduire le fonctionnement du cerveau humain. On peut notamment citer le projet DeepFace de Facebook ou encore le projet Catapult de Microsoft dont l'un des objectifs est d'améliorer de manière radicale la performance et l'efficacité énergétique des datacenters.

L'architecture globale des applications

De plus en plus d'applications sont conçues et développées dans une logique de collaboration, partant du principe bien connu que cette collaboration produira plus de valeur que la simple addition des services individuels. Lyft, rival d'Uber, a bien compris cette logique. En choisissant de l'intégration avec des offres comparables disponibles dans d'autres pays, Lyft a pu étendre rapidement son offre et s'assurer une croissance à moindre coût.

Pour Gartner, cette nouvelle architecture d'applications est indispensable pour répondre aux exigences de flexibilité et de rapidité de l'environnement numérique global. Elle devra être capable de délivrer des services toujours plus personnalisés et contextuels, au travers d'une multitude de terminaux intelligents, dispositifs connectés, sources d'informations, API, services, ... dont les interactions devront s'intégrer au coeur d'une expérience utilisateur fluide, unifiée et permanente.

L'architecture pour l'Internet des Objets

Les plateformes technologiques actuelles pour l'Internet des Objets restent fragmentées et fonctionnent encore en silos, les entreprises étant dans l'obligation de recourir à des solutions technologiques spécifiques et ponctuelles.

Le véritable développement de l'Internet des Objets ne pourra se faire sans une plateforme globale au sein de laquelle les données issues de tous les dispositifs connectés pourront être échangées et interopérées de manière transversale. De la même manière que le Web apparaît désormais un environnement universel de développement reposant sur des standards technologiques très largement adoptés par les communautés de développeurs et les entreprises, cette plateforme globale fournira aux acteurs de l'Internet des Objets des ressources génériques pour assurer la communication, le contrôle, la gestion, la sécurisation et l'interopérabilité de leurs applications.

Un exemple concret de cette vision est proposé la plateforme pour objets intelligents Evrythng. C'est aussi une des idées qui a mené à la création de la cité de l'objet connecté à Anger visitée par une délégation d'entreprises et de villes wallonnes dans le cadre d'une mission exploratoire sur les smartcities.